les enfants de l'autre
A brève échéance, c'est donc la construction d'une famille recomposée qui se produit. Avec les difficultés et les bonheurs, qui, je l'imagine, caractérisent toute famille recomposée.
Des familles de ce type, j'en connais des heureuses. Le mari européen dans la quarantaine voit son rêve de vie de famille se réaliser, lui qui, pour des raisons x ou y, a tardé à en avoir. Il ne fait pas de différence entre les enfants du premier lit et ceux qu'il a peut-être avec sa femme africaine. Bref, il est le père. Les enfants manifestent un désir forcené de s'intégrer (je le constate, c'est tout, pas de jugement de ma part). Ils ont envie de visiter Paris, préféreraient aller à la mer qu'au pays, ne savent plus danser (au désespoir des parents africains, qui mettent un max de pression et se plaignent de ces enfants devenus « blancs » si rapidement). Les années de séparation entre le moment de l'immigration du parent et celle de l'enfant ont laissé des traces, les mères constatent douloureusement que l'enfant s'est comme un peu détaché d'elle, qu'elles-mêmes ont perdu un peu de leur spontanéité, mais pas toutes et pas toutes durablement. Quoiqu'il en soit, elles ne regrettent pas leur choix, les enfants vivent dans l'insouciance, ils vont à l'école, ils ont des copains, ils sont ici comme si ils y étaient nés, éloignés à jamais de la malaria et de la malnutrition. Le mari les emmène skier, leur apprend à nager, fait des courses de montagne avec eux. Lui aussi est fier d'eux.
Et puis j'en connais des catastrophiques. Où le mari est vieux et n'a aucune envie de jouer le rôle de père. Il a déjà donné. Il vit l'arrivée des enfants comme une invasion intolérable de son territoire. Sans compter que les enfants pourraient être ses petits-enfants, ce qui redouble le mécontentement des siens, d'enfants, qui voudraient le voir jouer un rôle de grand-père. Où le mari est par bien des traits un enfant lui-même, il veut sa femme pour lui tout seul, qu'il soit sa seule préoccupation, tout au moins en apparence. Devoir jouer un rôle d'adulte, il en est peu capable. Le plus souvent, dans ce type de cas, le mari demande assez rapidement le divorce, et c'est tant mieux tant l'air est irrespirable dans ces foyers.
Et que se passe-t-il lorsque
c'est l'homme qui est africain ? Dans mon entourage, la situation est
un peu différente lorsque c'est l'homme qui est africain parce
que, généralement, c'est un enfant d'une relation « en
passant » et que l'homme n'a jamais vécu avec le ou
les enfants (il s'agit alors généralement des enfants
de femmes différentes- ils vivent avec elle ou dans sa famille à elle si elle est décédée). Il a peut-être pris en charge
une partie des frais liés à cet enfant, peut-être
a-t-il une relation personnelle avec l'enfant, mais pas forcément.
L'enfant n'est généralement pas la cause première
de la migration. La cause première, c'est que cet homme n'a
pas trouvé sa place, pas de travail, pas de logement à
lui, il squatte sur le canapé chez un de ses frères et
c'est dans l'espoir de gagner de l'argent et fonder à son tour
un foyer qu'il est parti en Europe.
L'idée de « faire
monter » l'enfant en Europe est souvent présente,
mais à des degrés divers. Et c'est en fait pour ça
que j'écris ce post, parce que je suis tellement écoeurée
du malheur que je vois dans le foyer d'un couple où les
enfants du mari sont « montés » sans que
n'ait été préalablement analysée en
profondeur la situation. Voici l'histoire. J'espère qu'il s'agit d'un cas isolé.
Le mari a 3 filles de deux mères
différentes. Une des mères, celle qui a les deux filles
aînées, aurait beaucoup voulu avoir le droit de garde
des filles. Mais vivant dans une société fortement
patriarcale, elle ne l'a jamais obtenu. C'est le grand-père
paternel qui a continuellement décidé du sort des
enfants, dans un souci très relatif de leur bien-être.
Quand mon amie s'est mariée, les filles vivaient chez ce
grand-père, qui se faisait passer pour leur père
(situation très anormale, même dans cette culture). Le
mari ne parlait jamais de ses filles, nous ignorions qu'il en même
qu'il en avait (là aussi, très bizarre, les pères
africains aiment autant parler de leurs enfants que les autres). Le
mari ne téléphonait pas non plus à ses filles,
bien qu'il dépensait plusieurs centaines d'euros en téléphone
avec sa famille. Mais la situation faisait « tache »
: ses amis ne comprenaient pas pourquoi il ne se précipitait
pas pour faire venir ses filles, leur église non plus. Il
semblait indispensable que ses filles vivent avec lui, fortement
injuste qu'elles ne puissent pas profiter de la « chance »
de vivre en Europe. Elles sont arrivées en juillet dernier. A
leur arrivée, elles ont pu téléphoner à
leur mère et puis.... plus rien, aucune proposition de faire
acheminer une lettre ou de téléphoner. Elles n'avaient
qu'à comprendre que leur belle-mère était
dorénavant leur « mère »,
qu'elles devaient l'appeler « maman » et ce
n'était pas censé poser le moindre problème
« c'est comme ça en en Afrique ». Mais
ça en a posé, et ça continue, dans une spirale
infernale. Les filles ont pris du poids, beaucoup de poids, 10 kg en
un mois. Elles ne l'ont pas reperdu. A l'école, elles n'ont
rien appris, un blocage complet, les deux aînées sont en
échec scolaire massif . Leur désir : retourner au
pays, vivre avec leur mère (la vraie !). Elles l'ont demandé
à leur père. Il refuse. Elles dépriment. Elles
écoutent la musique du pays à plein tube, dorment,
regardent la télé.La moyenne a un visage tellement
sérieux et des yeux si tristes. L'aînée économise
chaque centime de son argent de poche et le fait parvenir à sa
mère lorsqu'un compatriote se rend au pays. Elle se fait sans
doute du souci. Pour se rapprocher de ses filles envoyées en
internat, leur mère a quitté son atelier d'artisanat. A
la grande ville, elle a essayé d'en refaire un, mais ça
ne marche pas. Elle vend des médicaments à la sauvette.
La fille rêve de payer un nouvel atelier à sa mère.
Elle en a parlé à sa « maman »,
elle fait la sourde oreille. Ils ont acheté plutôt une
2ème voiture, plus grande, en prévision des autres
enfants que le couple veut faire.
Si seulement...si seulement ce couple s'intéressait plus aux besoins des enfants qu'aux pressions normatives de part et d'autres. Il aurait réfléchi que l'argent des allocations familiales versées au mari par son employeur équivalait à plusieurs mois de salaire au pays. Il aurait pu avoir l'idée d'envoyer directement cet argent à la mère des filles, histoire de contourner ses frères voraces. Qu'avec cet argent, la mère pouvait assurer les frais de n'importe quelle scolarité des filles, les habiller comme des princesses , les vacciner contre tout, installer une source d'eau potable, etc. Peut-être bien ouvrir un commerce, avoir un meilleur statut et pourquoi pas, enfin, se marier et offrir ainsi un père aux filles. Peut-être que mon amie aurait pu avoir l'idée que si un homme ne s'est pas occupé de sa fille pendant 16 ans, y compris 3 en Suisse, c'est que ce monsieur n'avait pas la fibre paternelle très développée. Peut-être qu'il aurait été possible de discuter avec la mère de l'avenir des filles, notamment la plus grande, et faire un projet pour qu'elle reste un temps restreint en Europe, le temps d'acquérir une formation qui puisse lui être utile sur place, tenir compte de ses aspirations plutôt que de la faire passer pour 13 ans (au lieu de 17!). Il aurait fallu discuter plutôtqu'imposer. Prendre le temps de la réflexion. Si seulement...il aurait fallu..mais a-t-il seulement été un jour question de l'intérêt des enfants, dans cette histoire ? En sera-t-il jamais question ?
Ici aussi, il existe des
hommes qui se sont désintéressés de leurs
enfants. Trouverait-on légitime qu'ils en aient soudainement
la garde exclusive ? Pourrait-on imaginer que cela soit bénéfique
pour les enfants ? Pensez-y avant de donner votre accord. Exigez de
les voir en vacances avant plusieurs fois et de pouvoir discuter avec
la ou les mères. Et prenez votre temps. Tout votre temps. Il s'agit d'une forme d'adoption.
Donnez vous les moyens qu'elle réussisse et soyez sûre que cette option
est celle qui correspond à l'intérêt supérieur de l'enfant, pas au
vôtre ou celui de votre conjoint.
Et ne croyez pas les salades sur
le fait que les enfants africains seraient moins attachés à leur mère
que les européens. Même si toutes les femmes sont appelées "maman", ils
savent très bien qui est leur mère biologique et si c'est une personne
autre que la mère biologique qui tient le rôle de mère, ils n'y sont
pas moins attachés que les enfants adoptés à leur mère d'adoption,
qu'on se le dise ! L'adoption comme on la connaît en Europe est très
peu pratiquée en Afrique, mais cela ne veut pas dire que les parents de
coeur ne soient pas aussi important qu'ici. Autre salade : les enfants
sont élevés "collectivement". En fait, tous les adultes ont le droit
d'intervenir, comme gronder l'enfant, voire le taper, émettre un
jugement sur son comportement, lui demander un service, etc. Mais la
responsabilité d'élever l'enfant incombe à un seul couple et il s'agit
le plus souvent du père et de la mère biologiques de l'enfant. Ce qui
est vrai par contre, c'est que les grands enfants s'occupent beaucoup
de leurs petits frères et soeurs et que les enfants vivent beaucoup
dans des "groupes d'enfants". Un enfant arraché à ce groupe d'enfant
pour cause de migration peut donc en être très affecté, en tout cas
pour un temps.